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  • Photo du rédacteurAssociation Laboisedesaintnicaise

Tribulations d'un chef-d’œuvre oublié de l'église Saint-Nicaise

Sur lequel plane à nouveau l'ombre du peintre Raphaël.

À l'occasion de recherches au musée des Beaux-Arts sur l'origine et le parcours de la copie ou du "second original" rouennais de la "Madone Sixtine" de Raphaël ornant le maître-autel de l'église Saint-Nicaise, nous en avons appris davantage, grâce à une notice de l'historien Lucien-René Delsalle publiée dans le "Bulletin de la Commission départementale des Antiquités" (T. LIII - 2005), sur le tableau d'origine de ce meuble, une "Ascension" (du Christ).


Première nouvelle, cette "Ascension" existe encore et est conservée dans les réserves du musée (voir photo en noir et blanc) ; deuxième nouvelle, elle est signée d'un grand maître français du XVIIe siècle, Pierre Le Tellier, que son probable disciple Jacques Restout place au même niveau que Poussin, Le Brun et Mignard, rien que cela ; troisième nouvelle, cette "Ascension" serait inspirée d'une tapisserie du Vatican d'après un carton d'élèves de... Raphaël.


Cette œuvre, semble-t-il une des premières réalisations de Le Tellier, était en bon état au XVIIIe siècle lorsqu'elle a été saisie par les révolutionnaires pour constituer le futur fonds du musée de Rouen. Charles Le Carpentier, chargé du procès-verbal de la saisie, note dans un mémoire daté du 19 frimaire An II (9 décembre 1793) :

"Je me suis rendu après midi à la paroisse Saint-Nicaise. Je n'y ai trouvé que le tableau de contretable, fort beau tableau de Le Tellier que j'ai fait descendre et porter de suite au dépôt" - l'abbaye de Saint-Ouen

Dans l'inventaire, au n° 57, il en fait la description : "L'ascension au milieu des douze apôtres, deux anges vêtus de blanc sont aux deux côtés du Christ ; 8 pieds 10 pouces de haut sur 5 pieds 8 pouces de large [3 m X 2 m environ]. Tableau très fini, et des plus beaux de ce maître, sur toile et bien conservé."

Il se peut fort (hypothèse du conservateur du musée J.-B. Descamps en 1809) que le personnage tête inclinée et petite moustache Grand Siècle qu'on voit de face au milieu des apôtres soit le peintre lui-même, ce qui ferait aussi de cette "Ascension" un autoportrait.


L'œuvre, non restituée à l'église Saint-Nicaise, quitte en 1834 les collections du musée pour gagner l'église Saint-Louis, chapelle du collège de Rouen (le collège des jésuites, futur lycée Corneille), dont elle va orner le maître-autel, en remplacement d'une "Annonciation" de Jouvenet... qui rejoint les collections du musée. Nul ne sait le motif de ce chassé-croisé. À noter qu'on ne connaît pas l'auteur du maître-autel de la chapelle Corneille, contemporain de celui de Saint-Nicaise auquel il ressemble tant, mais il se pourrait que ce soit le même, le sculpteur et peintre Mazeline, qui habitait la paroisse... À noter aussi que le tableau de Le Tellier est mis au carré (suppression des angles rentrants au sommet correspondant à la forme du maître-autel) à l'occasion de son installation dans la chapelle du collège.


On ne sait pas si ce mouvement de 1834 est à l'origine du comblement du vide laissé par la saisie révolutionnaire à Saint-Nicaise par une "Crucifixion". Quoi qu'il en soit, c'est cette dernière qui disparaît dans l'incendie de 1934, un siècle après.

Étrangement, à la reconstruction de l'église, nul ne songe à décrocher l'"Ascension" de Le Tellier mise à la chapelle Corneille pour la remettre, restaurée, sur le maître-autel de Saint-Nicaise, son support d'origine. À une date inconnue, le musée des Beaux-Arts, sans raison explicite, décide de lui substituer notre fameuse "Madone Sixtine". La Commission départementale des Antiquités (CDA), en 1953, constatant l'exposition du tableau au vent et à l'humidité dans la chapelle Corneille, formule unanimement le vœu qu'il regagne, après restauration, l'église Saint-Nicaise. En vain.

En 1987, alors que la chapelle sert de salle de concert, l'"Ascension" subit la dégradation de trop durant le Festival d'été de Normandie. La CDA la fait déposer en urgence (une photo d'une autre toile de Le Tellier est collée à la place, qui fait illusion) et ranger dans les réserves du musée des Beaux-Arts, sous papier Japon, pour la stabiliser. Le conservateur d'alors, François Bergot, promet qu'elle ne retournera jamais dans la chapelle du lycée.


Et tout se fige jusqu'à nos jours, après deux siècles de tribulations plus ou moins arbitraires. Ce tableau remarquable et remarqué mériterait amplement une restauration, tout comme la "Madone Sixtine" rouennaise, considérée comme l'une des plus belles pièces du musée des Beaux-Arts au XIXe siècle. Il est très étonnant qu'aucun effort, ne fût-ce qu'en intention, ne soit fait en ce sens par la ville, qui s’enorgueillissait auparavant de posséder de telles œuvres et ne craignait pas de les sortir des collections, d'autant que leurs conditions de conservation dans une église restaurée, "habitée" et à la température contrôlée seraient bien meilleures que dans bien d'autres églises rouennaises.



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